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La coupe annuelle dans les parcelles du bois du Lac
Sur le versant nord du Ruisseau de la Meule, sur un dénivelé d’environ 200 mètres, s’étalait la coupe du Lac, le bois réservé aux habitants du hameau du Lac (commune de Vèze).
Il était divisé en trente parcelles perpendiculaires à la ligne de pente. Chaque année on procédait à la "coupe" et le bois était divisé entre les sept familles. Une procédure communautaire bien réglée et acceptée par tous...
"Chaque parcelle du bois du Lac était desservie par trois chemins d’exploitation où pouvait rouler un attelage : l’un au sommet de la pente, accessible des champs du village, l’autre à mi-pente et le troisième longeant le ruisseau.
Tous les trente ans, une parcelle était partiellement abattue, seuls les arbres ayant entre soixante et quatre-vingt dix ans étaient coupés. Ainsi la forêt se régénérait-elle à son rythme, sans bois mort ni invasion des arbustes, sans dopage ni alignement comme aujourd’hui. Là poussaient en futaie, des hêtres et des chênes majestueux au tronc rectiligne surmonté d’une large couronne de branches.
Avec la fin de la belle saison, fenaison, moisson et ramassage des pommes de terre terminés, les hommes du village étaient plus disponibles : c’est alors qu’on préparait la « coupe ».
A une date convenue, les hommes, un par foyer, cognée et masse sur l’épaule, passe-partout en bandoulière, coins dans la musette avec le casse-croûte et la chopine, se retrouvaient à la sortie du hameau du Lac sur le chemin conduisant au bois situé à plus de deux kilomètres.
Monsieur L’Héritier, le garde forestier, un ancien d’Indochine, avait quelques jours avant repéré les arbres à abattre sur la parcelle de l’année, en tenant compte de leur âge, de leur taille et du nombre de lots à fournir aux familles.
Le jour de la coupe, le garde forestier était accompagné du « président », un homme du village qui présidait l’opération. Chaque année ce rôle revenait à un homme d’une famille différente.
Le garde marquait de sa hachette estampillée ONF les arbres à couper. Un coup de hachette sur le tronc pour enlever l’écorce, un coup de tête sur l’entaille et les trois lettres ONF apparaissaient sur le bois nu. La même chose était effectuée qui ce qui deviendrait la souche.
Pendant ce temps, le reste du groupe avait tombé la veste et préparé les outils. Au retour du garde, l’abattage pouvait commencer.
Par groupe de deux, les villageois se dirigeaient vers les arbres à abattre. On dégageait le pied : feuilles mortes, brindilles, petits rejets, puis on commençait l’entaille qui déterminerait l’endroit de la chute. Cet endroit était très important car le terrain de la coupe du Lac était très accidenté et l’accès difficile pour les attelages. On essayait donc de se rapprocher au maximum des chemins d’exploitation.
A la base du tronc était donné un coup de scie correspondant environ au quart du diamètre de l’arbre, du côté où il chuterait. On dégageait la partie supérieure au coup de scie, à grands coups de cognée afin d’élargir l’entaille dans le sens de la hauteur. L’entaille terminée, le passe-partout entrait en jeu du côté opposé.
Tiré alternativement de chaque côté, l’outil bien affûté, commençait son va-et-vient et pénétrait lentement dans le tronc. Les hommes, à genoux, souvent dans une situation inconfortable, ahanaient sur les poignées et suaient à grosses gouttes. L’arbre ne bougeait pas, à peine un frémissement au bout des branches. Les oiseaux s’étaient tus. On n’ entendait que le bruit des outils et les voix des hommes.
La scie continuait son chemin. Les bûcherons s’interrompaient, plantaient le premier coin du côté opposé à l’entaille et ainsi orientaient la chute. La scie, libérée par le coin qui empêchait l’arbre de la serrer, avançait plus librement. Les premiers craquements se faisaient entendre. A chaque coup de scie, l’arbre vacillait et se penchait progressivement. Encore quelques va-et-vient de la scie, puis les hommes s’éloignaient du tronc, laissant l’outil en place. Un grand cri résonnait dans la forêt : Attention !!! A grands coups de masse, l’un des hommes enfonçait le deuxième coin à côté du premier. A chaque coup, l’arbre se penchait un peu plus. Puis sa chute s’accélérait…Les craquements s’amplifiaient…Le géant basculait complètement et s’abattait dans un fracas de branches cassées en libérant sa souche. Le débardage pouvait commencer.
A la hachette, on dégageait l’extrémité des branches. Les branchettes étaient rassemblées en tas sur place. Elles auraient trente ans pour pourrir, mais avant elles serviraient d’abris aux animaux, de nourriture aux parasites et vermines et d’engrais ou d’humus aux prochains géants.
Les branches ainsi dépouillées étaient débitées d’un coup de hache tous les deux mètres, puis charriées à bras d’hommes et entassées au bord des chemins creux. Les plus grosses et les plus lourdes étaient regroupées sur place. On viendrait les chercher avec des attelages pour les traîner jusqu’aux chemins. Elles serviront de bois de chauffage pour l’hiver.
Restait le tronc, bien droit, bien rond, sans aucune branche, souvent sans aucun nœud. Il était débité en deux billes de trois ou quatre mètres. Chaque bille restait sur place. Plus tard, elle serait elle aussi, tirée par les attelages jusqu’aux chemins.
Ainsi, pendant une semaine, les hommes abattaient les arbres et préparaient le bois pour le transport. Le dernier jour, ils venaient avec un ou deux attelages, de préférence des bœufs, car la tâche était rude. Une chaîne, le « trinéi », était accroché au joug. Les bœufs liés avançaient de chaque côté de l’énorme bille.
Arrivés à cinquante centimètres de l’extrémité, la lourde chaîne venait entourer le tronc. On faisait donc baisser la tête aux boeufs afin que la bille touchât le joug et on amarrait bien la chaîne. Un "ha" d’encouragement. Les bêtes se campaient sur leurs quatre membres, tendaient leurs jarrets et levaient la tête.
La bille était soulevée à l’avant, évitant ainsi les vieilles souches ou les rochers épars sur le sol. Les boeufs avançaient d’un pas lent entre les arbres, donnant le coup de reins nécessaire si une souche retenait la bille qui traînait sur le sol, jusqu’au chemin le plus proche.
Les branches et les billes étaient ainsi regroupées au bord des chemins.
Sept lots de bois de valeur équivalente, (sept lots car il y avait sept foyers au village) étaient ainsi rassemblés le long de chacun des trois chemins d’exploitatation. Le dernier jour, le garde revenait vérifier que seuls les arbres marqués avaient bien été abattus et marquait chaque lot de un à sept, en chiffres romains, d’un coup de serpette, en présence de tous.
Le soir, en présence du président de l’année, réunis autour d’un verre, sept papiers numérotés étaient jetés dans un chapeau et chacun venait tirer le numéro de son futur lot.
Le sort en était jeté et personne ne discutait l’attribution même si le lot du voisin semblait plus attrayant (grosses billes ou accès plus faciles).
Si l’arrière saison était belle, chaque famille pouvait venir avec son attelage récupérer son bois. Si non, elle attendait le printemps suivant.
La charrette était arrêtée dans le chemin creux. Les branches empilées à la main sur le véhicule et amarrées avec une corde. La charrette ainsi chargée, parfois surchargée, était ramenée à la ferme au pas lent des boeufs. Souvent deux ou trois heures étaient nécessaire au retour. Arrivés à la ferme, les boeufs passaient à l’abreuvoir, puis étaient déliés et avaient droit à une bonne ration de foin. Les branches, quant à elles, étaient stockées verticalement contre le mur exposé au sud, ainsi elles pouvaient commencer à sécher avant d’être débitées en rondins. De belles bûches pour aimenter la cuisinière et la cheminée.
Quant aux grosses billes de bois, représentant une certaine valeur, elles étaient soulevées par les boeufs sur la charrette et ramenées à la scierie pour y être débitées en plateaux, planches, madriers selon les travaux à réaliser à la ferme.
Sept à huit journées,étaient nécessaires pour rentrer le bois de chauffage pour l’année et stocker le bois utilisable pour les travaux de charpente ou de menuiserie. Rajoutées aux quatre ou cinq journées de préparation en commun, la coupe mobilisait les hommes du village pour au moins deux semaines..."
Denis Hermet
Transport du bois avec les boeufs jusqu’à la scierie du bourg de Vèze vers 1910
Des parcelles communautaires
rentables
Les attelages de boeufs, indispensables
pour rentrer le bois au village
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