L’estive sur le Cézallier Cantalien
De l’herbe, rien que de l’herbe. L’ancestrale vocation agricole des pâturages d’altitude n’est plus à démontrer. Depuis toujours ils servent à décharger durant la belle saison les surfaces proches des exploitations, les éleveurs peuvent ainsi réserver ces parcelles de proximité aux récoltes de fourrages et conserver davantage d’animaux. Réputées pour leur extraordinaire richesse floristique et leur valeur nutritive, les estives du Cézallier Cantalien préservent ainsi les éleveurs du manque d’herbe durant l’été, le redouté trou d’herbe pénalisant certaines régions. Elles induisent davantage de souplesse dans la gestion des surfaces exploitées et la production fourragère, aussi bien en qualité qu’en quantité. C’est vrai pour aujourd’hui et çà l’était autrefois aussi.
Installé depuis le 1996 sur la place du Cézallier d’Allanche, une sculpture de pierre, oeuvre du sculpteur auvergnat Jean Chauchard, évoque la force tranquille de la vache rouge et son instinct maternel. Elle veille sur l’ancien foirail autrefois si prospère, bruissant durant de nombreuses années lors des grands rendez-vous du marché bovin de la ville d’Allanche.
C’est le Comité de la célèbre fête de l’estive d’Allanche qui a proposé la réalisation d’un monument afin d’honorer les éleveurs, les estives et la vache Salers. L’hommage se voulait large et sincère consacrant une trilogie : un pays : le Cantal, des hommes :les paysans, une race : la Salers. Hommage appuyé aux paysans du Cantal qui maintiennent avec passion la tradition de l’élevage. A l’animal aussi, cette vache rouge, emblématique du Cantal, reconnue pour la qualité de son lait et de sa viande. Au Cantal enfin, et plus spécialement le Cézallier dont l’harmonie des paysages, l’humanité et la sérénité des habitants et la saveur du fromage lui confèrent un charme particulier bien mérité.
Pour arriver à l’oeuvre définitivement en place à Allanche, tout a commencé lorsque le Président de l’Association « L’Estivade en Cézallier », organisatrice dès 1992 de la première fête de l’Estive, soumet à l’Assemblée Générale de l’association l’idée de réaliser une vache grandeur réelle pour assurer la promotion de cette fête. Monsieur Portefaix, artisan à Ruynes-en-Margeride sculpte une vache en fer. L’oeuvre sera exposée à la fête de l’Estive de 1994 sur la place du Cézallier. Elle ne fait pas l’unanimité. On suggère alors d’employer la pierre.
Montage financier et choix de la pierre
Après consultation de différents sculpteurs auvergnats, Jean Chauchard est choisi. L’artiste n’est pas ignorant du pastoralisme de montagne, lui qui est né en pays d’Aubrac où la transhumance se perd là aussi dans la nuit des temps. Après consultation de ses amis aveyronnais avant d’accepter la commande, et une collaboration enrichissante avec le monde agricole, la maquette qui représente une vache avec son veau et le vacher fut acceptée.
Deux ans de conception du projet furent nécessaires. Un large montage financier dont une souscription permettra de financer la moitié du budget, le reste viendra de contributions diverses et de subventions des collectivités.
Le choix de la pierre fut aussi capital, un bloc de lave basaltique de 6m3 et d’un poids de vingt tonnes sera extrait de la carrière de pierre volcanique de Bouzentès près de Saint-Flour. Après 10 mois de travail de taille dans son atelier de Moissat dans le Puy-de-Dôme, de multiples retouches et finitions, Jean Chaussard a créé une oeuvre de 1,80 de hauteur créant un témoin permanent d’une pratique aussi ancestrale que moderne pour faire vivre l’art de l’estive.
Depuis son installation le 7 novembre 1996, le monument invite les passants à s’intéresser à une forme d’estive beaucoup plus ancienne que celle pratiquée désormais dans le Cézallier et tout le Cantal. Un bel hommage avec l’oeuvre de Pierrefort (Cantal) pour l’autre acteur des estives : le buronnier.
Les hautes terres situées sur le territoire de la vallée de la Sianne, à cheval sur deux départements le Cantal et le Puy-de-Dôme, sont identifiables par les estives proches du Signal du Luguet. Sur ces pâturages d’altitude (1300-1550m), l’histoire paysagère se confond avec l’histoire humaine depuis plus de 500 ans. Retour sur quelques périodes clés.
– 14 et 15ème siècle (Moyen-Age) les atteintes portées au manteau forestier des montagnes du Cantal et du Cézallier s’affirment et la zone pastorale supplante peu à peu la hêtraie originelle
Les premiers habitats saisonniers pour les bergers sur les estives apparaissent avec les trous de cabanes.
– 1560 : après un séjour dans le Cézallier, au Prieuré d’Allanche, Bruyère-Champier témoigne de ses observations sur les méthodes de conservation des fourmes provenant des Estives dans une chronique sur l’alimentation.
Il note surtout les gras et fertiles pâturages où sont élevés de grands troupeaux de bovins remarquables et particulièrement les vaches dont le lait sert à fabriquer des fromages supérieurs à tous les autres fromages français. « Il y en a dit-il, qui ont une forme ronde qu’on appelle formagines, ce sont ceux qu’on fabrique sur les montagnes très élevées de ce pays. Pendant le séjour que nous faisons parfois dans notre prieuré d’Allanche, nous avons voulu nous rendre compte du mode de fabrication.
Etant donc montés sur une montagne, nous y trouvâmes un grand nombre de cabanes où beaucoup d’enfants, à peine âgés de 14 ans, s’occupaient à la fabrication du fromage. Les bras nus jusqu’au coude, ils pressent les fromages avec leurs mains dans une faiscelle et le font très adroitement et convenablement. ».
– 17ème siècle :. Les montagnes sont rattachées à des domaines appartenant à des familles de nobles et de bourgeois, de grands espaces d’estives se constituent. La période révolutionnaire n’apporte guère de changement. La bourgeoisie en profite même pour accroître son rôle et ses possessions.
– 18ème siècle : élaboration des principaux caractères de l’activité pastorale et multiplication des burons en pierre destinés à abriter l’équipe du vacher et l’atelier fromager
– 1826 : L’abbé de Pradt, propriétaire d’estives sur les environs de Pradiers constate que le fromage de montagne « est de très mauvaise qualité et fort chargé en sel » et qu’il convient d’améliorer sa fabrication.
– 1828 : Le baron de Pradt tente d’introduire sur ses propriétés des environs de Pradiers des taureaux suisses dans le but de croisements avec des femelles de la race Salers. Aucun éleveur ne le suivra, préférant perfectionner les troupeaux existant pour augmenter le rendement quotidien du lait.
– 1840,l:es montagnes à traite s’étendent aidées par la conjoncture : les produits laitiers connaissent une hausse importante du prix de vente.
– 1850 : âge d’or de la grande ferme de type cantalienne (élevage de la Salers, pratique de l’estive, fabrication du fromage au buron), mais l’activité pastorale n’évolue guère.
La mise en valeur des Estives est toujours caractérisée par l’emprise terrienne des grands propriétaires bourgeois et par le succès de la montagne fromagère. Indispensable, l’estive joue un rôle d’appoint. Elle s’inscrit dans un genre de vie séculaire, l’Estive permettant de récolter davantage de fourrage en bas dans les vallées. Il n’est pas concevable qu’un élevage important soit dépourvu d’une « Montagne ». Cet âge d’or perdurera un bon siècle.
– 1860 : l’administration forestière couronne le Mont Cézallier (Signal du Luguet) de pins sylvestre
– 1890 : Des outillages nouveaux diffusés par la Société d’agriculture du Cantal font leur apparition dans nos montagnes du Cézallier et vont transformer le travail fromager dans les burons : presse à tome, moulin à briser la tome, pressoir à fourme en fer.
– 1920 : Les troupeaux du bassin d’Aurillac arrivent en gare d’Allanche et de Landeyrat dans une ambiance de Far West par la ligne de chemin de fer Neussargues-Bort-les-Orgues, gérée par la Compagnie Paris-Orléans. <br<
Une partie de la transhumance s’effectue désormais par voie ferrée à partir de la gare d’Aurillac et apporte de grands changements : rationalité et rapidité des convoyages des vacheries, moins de fatigue pour les animaux qui rejoignent les herbages du Cézallier en une demi-journée. A leur arrivée au buron, les laitières étaient capables de fournir la même quantité de lait que le matin de leur départ du domaine.
– 1940 : La Préfecture du Cantal institue un marché officiel de la production des fourmes afin de contrôler la collecte et le négoce (26). Trois marchés sont institués dans le Cézallier ; Allanche, Marcenat, Montgreleix. A partir de 1941, la production de Cantal est obligatoirement portée au marché et il est interdit aux grossistes d’acheter directement aux paysans.
– 1948 : il y a encore un millier de burons en activité dans le Cantal, plusieurs sur le versant oriental du Cézallier non loin de la Sianne et de ses affluents.
– 1950 :disparition progressive des vieux genres de vie montagnarde et mise en place d’une nouvelle économie des « montagnes ». C’est la crise de la production, les burons commencent à disparaître et la montagne à lait n’est plus aussi prospère. <br<
En quelques années, la montagne volcanique connaît l’abandon pratiquement complet de la traite à l’estive, élément moteur jusque là de l’économie pastorale.
On assiste à la remise en cause d’ordre technique et économique des grands domaines pour lesquels le fromage de montagne représentait près de 60% des recettes. La production du fromage au buron ne compense plus le coût de l’estive.
– 1954 : surproduction de fourmes laitières et fermières, accentuée par des fabrications extérieures au département du Cantal. Le territoire d’origine de fabrication du fromage de Cantal n’étant pas délimité juridiquement.
– 1955 : début d’une période de fermeture massive des burons. Le recrutement est de plus en plus difficile à cause de l’exode rural, des conditions précaires de la vie à l’estive et de la rémunération trop faible d’une main d’œuvre pourtant qualifiée. Les propriétaires investissent peu dans le confort des burons. Peu d’hommes désormais acceptent de travailler 18 heures par jour et l’isolement durant 140 jours.
Rendue inévitable par la conjoncture économique et encouragée par les instances agricoles, la disparition du système pastoral ancien s’accélère. La mise en valeur des espaces d’altitude d’Auvergne semble condamnée face aux mutations de l’élevage et aux nouveaux systèmes de production. C’est la déprise.
– 1956 : la fourme du Cantal bénéficie d’une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), mais la mévente continue à s’accentuer.
– Années 60 : La reconquête des pâturages d’altitude est de nouveau à l’ordre du jour grâce à l’élargissement du marché des animaux maigres de 8-9 mois vers l’Italie et surtout grâce à la politique de soutien à la production de la viande bovine mise en place par l’Etat. Dès lors, on assiste au commencement d’un profond bouleversement des productions de l’élevage sur les Estives du Cézallier, de plus en plus collectifs les pâturages mêlent des troupeaux de diverses provenances.
La substitution de la montagne d’élevage à la montagne fromagère prive définitivement l’Estive de toute production spécifique. Les Estives reprennent un rôle prépondérant en s’appuyant sur de nouveaux systèmes d’élevage, mais le relâchement des liens unissant l’Estive au reste du territoire agricole environnant devient irréversible.
– 1963 : création de la Coopérative cantalienne de transhumance (COPTASA) qui regroupe 1126 hectares sur Pradiers et ses environs avec comme centre technique le buron de Paillassère-Bas qui domine les sources de la Sianne.
– 1968 : suite aux évènement sociaux de mai, le trafic ferroviaire sur la ligne SNCF Neussargues-Bort les Orgues est suspendu, la transhumance s’organise massivement par camion pour la première fois. L’arrivée des troupeaux par la route jusqu’aux estives va s’accentuer un peu plus chaque année.
La création de pistes qui desservent les montagnes autour du Mont Cézallier (Signal du Luguet) notamment, permettent aux estives de garder une certaine valeur.
– 1971 : la dimension moyenne des propriétés privées dans le Cézallier est de 38 hectares, ce qui correspond encore fidèlement à la superficie autrefois nécessaire au séjour d’une vacherie d’une cinquantaine de vaches laitières et la fabrication de la fourme du Cantal au buron.
– 1975 : Les montagnes du Cézallier oriental sont dorénavant parcourues par les génisses et les bêtes à viande dans le cadre d’une exploitation intensive. L’homme est devenu absent de la montagne. Il n’assure plus le gardiennage ni la conduite des troupeaux. Cette nouvelle situation exige des aménagements et des accès aux montagnes, des équipements nouveaux et l’entretien des pâturages par la pose de clôtures, la fertilisation, le contrôle du ravitaillement en eau du bétail et la surveillance centralisée des animaux mis à l’estive.
– 1980 : L’exploitation des Estives provient de plus en plus des régions voisines comme l’Aubrac et l’Aveyron. Cette irruption d’ampleur considérable redynamise les montagnes du Cézallier.
– 1984 : l’instauration de quota laitier pour réduire les surplus en Europe a pour conséquence de donner le coup de grâce à l’activité pastorale, à ses burons et à la fourme d’Estive.
– 1990 : la transhumance provenant hors du Cantal représente près de la moitié du bétail estivé dans les Monts-d’Auvergne.
– 1991 : la SNCF ferme la ligne du Far West qui déversait chaque année à Allanche et Landeyrat des milliers d’aninaux pour l’estive. La transhumance s’impose alors par camion vers le lieu d’estivage.
La commune de Pradiers connaît une augmentation spectaculaire de la population bovine durant l’été (+ 420%).
– 2000 : Les burons et les maisons de bergers, témoignages de l’ancien genre de vie pastorale ne sont pas réinvestis de nouvelles fonctions. La plupart tombent en ruine, notamment sur le versant oriental du Cézallier après avoir perdu, vendu pour certains d’entre-eux, les ardoises ou les lauzes couvrant les bâtiments.<br<
Les possibilités de restauration sont réduites, l’utilisation et la reconversion des burons en gîtes se heurte d’abord à leur accès et à leur isolement, puis à leur rentabilité.
– 2010 : la première exposition de restitution sur l’ancien genre de vie, l’activité fromagère et le patrimoine bâti sur les estives proches du Mont Cézallier est créée à Vèze (Cantal) par l’Association Cézallier vallée de la Sianne.
L’estive sur le Cézallier ne remplit plus les mêmes fonctions qu’autrefois. L’exploitation des pâturages d’été représente toutefois un curieux mélange ou se mêlent traditions et éléments nouveaux. Héritiers des grandes vacheries, les troupeaux allaitants se sont substitués aux vaches laitières et sont devenues le pilier essentiel de l’exploitation des pâturages d’altitude.
La moyenne montagne humide du Cézallier apporte depuis des siècles des conditions privilégiées au développement des vacheries. Les précipitations à cet étage pastoral produisent des réserves dans le sol permettant d’éviter tout déficit estival. Le pouvoir de rétention en eau est élevé. Le lessivage marque peu le Cézallier.
Le rôle du sol, en général bien drainé, est particulièrement important pour les herbages. La diversité du couvert végétal d’une montagne est variable selon le degré d’entretien, le mode de conduite d’un troupeau, l’accessibilité et la répartition des points d’eau. Les parcelles les plus riches se localisaient dans l’entourage des burons.
Les meilleurs pâturages à trèfle blanc et fétuque rouge se concentrent encore sur les faibles pentes entre 1100m et 1500m.
Dans les Monts d’Auvergne, au sein des pâturages d’altitude, une distinction est désormais établie entre la « montagne » qui est en propriété ou en fermage et qui fait partie d’une exploitation, et la « montagne d’estive » qui appartient elle à un tiers (privé, coopérative, section de village) et sur laquelle les animaux sont pris en pension (Coptasa, sectionnaux de Vèze et d’Anzat-le-Luguet...).
L’image d’abandon perceptible dans certains pâturages d’altitude français n’est pas du tout ressentit sur le Cézallier. Les massifs auvergnats s’affirment d’ailleurs comme le premier foyer pastoral français (près du tiers des bovins d’alpages en France).
Tous les spécialistes s’accordent pour dire que les Monts d’Auvergne ont mieux résisté au repli de la vie pastorale que d’autres massifs français. La crise des années 1960 n’a pas provoqué la déprise, mais le passage, certes douloureux de la montagne fromagère et ses burons à la montagne d’élevage.
Héritiers des grandes vacheries, les troupeaux allaitants se sont substitués aux vaches laitières (abandon quasi total de la traite sur le Cézallier) et sont devenues le pilier essentiel de l’exploitation des pâturages d’altitude. La Salers, qui tient bien face aux rigueurs du séjour à l’estive a permis la reconquête d’une part importante de l’espace pastoral.
Désormais, l’exploitation des estives provient de plus en plus des régions voisines comme l’Aubrac et l’Aveyronnais. C’est probablement cette irruption d’ampleur considérable qui a redynamisé depuis 30 ans le Cézallier. En 1990 déjà, cette transhumance représentait près de la moitié du bétail estivé dans les Monts d’Auvergne.
La substitution de la montagne d’élevage à la montagne fromagère prive définitivement l’estive de toute production spécifique et rend les burons sans intérêt économique. L’estive ne joue plus désormais qu’un rôle d’appoint, elle ne s’inscrit plus dans un genre de vie séculaire ou la présence des bête là-haut permettait de récolter davantage de fourrage en bas dans les vallées. Jusque dans les années 50, il n’était pas concevable qu’une ferme importante soit dépourvue d’une « montagne » avec son buron et sa production de fromage.
Si les estives ont repris un rôle prépondérant depuis les années 60, s’appuyant sur de nouveaux systèmes d’élevage et une pression extérieure constante, la reprise, ont noté les spécialistes, a provoqué le relâchement des liens unissant l’estive au reste du territoire agricole environnant. C’est particulièrement vrai pour le secteur oriental du Cézallier.
Si l’on ne compte plus aucun buron à fromage en activité sur cette partie du Cézallier, ces grands espaces réputés pour l’Estive sont toujours très convoités par les éleveurs cantaliens. Sur cette terre du Cézallier, couverte d’une herbe de très bonne qualité nutritive, le lait des milliers de vaches à l’Estive permettaient autrefois une production exceptionnelle du fromage de Cantal.
Le fromage était fabriqué selon la technique traditionnelle qui consiste à utiliser le lait immédiatement après la traite et à le travailler dans une gerle en bois, sans autre additif que la présure.
Les troupeaux dispersés dans les montagnes proches de la Sianne, venaient de la région d’Aurillac par le train jusqu’à la gare d’Allanche. La transhumance se terminait à pied vers les burons.
Durant l’estive, une centaine d’hommes travaillait dans les burons autour de la Sianne. Plus proche de Vèze et des villages de la Jarrige, la Terrise, la Vazèze, un autre type de construction, plus simple, servait uniquement d’habitation pour un batier qui surveillait le troupeau.
Si l’on ne compte plus aucun buron à fromage en activité sur cette partie du Cézallier, ces grands espaces réputés pour l’estive sont toujours très convoités par les éleveurs cantaliens et aveyronnais.
Les troupeaux à viande, principalement des Salers, qui exigent une surveillance moins contraignante que les bêtes à lait, ont totalement colonisé les montagnes. Seule la montagne de Vèze dispose encore d’une surveillance des troupeaux durant l’estive. Tout le reste des Estives du versant oriental du Cézallier sont surveillées par une coopérative, la COPTASA. Ces équipes peuvent encore être considérées comme les gardiens de ce qui reste de la tradition des buronniers sur les pâturages près de la Sianne. Quant au fromage, il faudra bien s’y faire, il ne viendra plus de cette partie du Cézallier.
Au cours des siècles, la fabrication de la fourme avec le lait des estives du Cézallier a subi des modifications techniques. Elle s’est améliorée grâce à l’utilisation de nouveaux matériels apparus vers 1890. Le presse-tome et le brise-caillé notamment ont remplacé le travail des genoux et des mains des buronniers. La manipulation du lait des fameuses vaches Salers répondait a des exigences bien précises et qui n’avaient qu’un seul but : produire un Cantal de qualité.
La composition du lait utilisé pour la fabrication du fromage sur les Estives était variable suivant les troupeaux. Elle exerçait on s’en doute une influence primordiale sur les rendements. Dans la fabrication du Cantal, le lait ne possède que son acidité naturelle.
La composition du fromage dépendait donc uniquement de la qualité du lait employé et du travail de fabrication par le vacher au buron, c’est-à-dire le respect des diverses manipulations par les sérums de la gerle et des presses qui modifiaient les rendements et la qualité du Cantal.
Là-haut sur les montagnes du Cézallier, la température de la mise en présure du lait pouvait varier en 30 et 35 degrés suivant la température extérieure et le temps qui s’écoulait entre la traite effectuée dans le parc et la mise en présure. La quantité de présure nécessaire mélangée avec de l’eau donnait une coagulation entre 45 et 60 minutes. Elle devait être suffisante pour donner un caillée ferme, cela ayant une grande importance pour la suite des opérations.
Le travail du caillé au buron dépendait essentiellement de l’habileté du vacher, c’est surtout lui qui réglait la composition du petit-lait. On savait toutefois que le même vacher, opérant toujours de la même façon, obtenait des résultats forts inégaux du jour au lendemain.
La période d’emprésurage avait une certaine influence dans l’obtention d’un caillé mou, normal, ferme ou très ferme.
Petit-lait ou sérum
Au cours de la fabrication du fromage on obtenait la tome et trois sous-produits : le petit-lait de la gerle, le petit-lait du presse-tome, le petit-lait de la presse à fromage.
– Le petit-lait de la gerle était le sérum que l’on retirait lorsqu’on avait ramassé le caillé. Celui-ci était en moyenne de 78 litres par 100 litres de lait. Le sérum de la gerle était écrémé, après avoir été mélangé avec le sérum du presse-tome. Il était ensuite employé pour la nourriture des porcs.
– Le petit-lait de la tome s’écoulait du presse-tome par pression du caillé. Ce petit-lait était beaucoup plus riche en matière grasse, et sa composition était plus variable que celle du petit-lait de la gerle qui dépendait en fait de l’état de division du caillé et de sa fermeté, du mode de pression et aussi de la température.
– Le petit-lait du fromage provenait de la presse à fromage après la mise en moule.
Des altérations dans les caves survenaient parfois malgré les soins attentifs du vacher avec souvent comme point de départ la surface du fromage : la croûte se fendillait, s’épaississait et se retrouvait envahie par les acariens. Il en résultait des moisissures s’infiltrant ensuite vers l’intérieur et provoquant alors la perte de la tourte. Ce qui était particulièrement redouté par le vacher.
C’est principalement la traite des vaches qui rythmait la journée de travail au buron. Elle avait lieu deux fois par jour, le matin à partir de 5 heures et le soir dès quinze heures. Pour une soixantaine de laitières, la traite durait à peu près deux heures et demie. De ce recueil quotidien du lait, l’or des buronniers, dépendait toute l’activité fromagère du buron.
La traite exigeait une organisation bien rodée. Pour la traite du petit matin, les veaux étaient sortis du védélat ou ils passaient la nuit. Les vaches, étaient dans le parc depuis le soir. La première vache devait être impérativement la même à chaque traite ainsi que la dernière.
Pour l’amorce, le pâtre conduisait le veau vers sa mère assujetti par le cou grâce à une corde. Pour une Salers, pas de veau, pas de lait. On laissait téter le jeune animal une minute, puis on lui attachait la tête à la patte avant gauche de sa mère. La traite pouvait alors commencer pour le vacher bien assis sur la selle après avoir donné à la vache un peu de sel.
La traite finie, on laissait les veaux téter, puis ils étaient séparés de leur mère. Toutes les deux ou trois vaches, le lait était transféré dans la gerle à travers une étamine de chanvre afin de filtrer les impuretés. Les gerles étaient convoyées vers le buron à l’épaule ou en charrette.
Pour la traite du soir se répétait le même dispositif.
La traite qui avait toujours lieu dans le parc se situait au fil de l’été de plus en plus loin du buron. Le transport du lait à la fromagerie dans la gerle devenait donc une activité plus longue et plus pénible pour les hommes. Deux techniques ont été utilisées : la perche et l’attelage, avec une seule consigne, ne rien perdre du produit de la traite en chemin.
On recueillait le produit de la traite faite au parc le matin et le soir dans un grand récipient de bois : la gerle, formée avec des douelles de châtaignier ou de chêne et qui était renforcée de plusieurs cercles de fer. La gerle pouvait contenir plus ou moins de lait suivant les moments. On en trouvait donc de plusieurs dimensions (de 50 à 150 litres).
Une fois le seau plein, le vacher vidait le lait chaud dans la gerle travers une toile très fine pour enlever les impuretés, après avoir soulevé le couvercle lui aussi en bois.
Traditionnellement la gerle était suspendue à une barre de bois et ainsi transporté jusqu’au buron. Cette longue barre de bois, passée dans les oreilles de la gerle, reposait sur les épaules de deux hommes qui devaient trouver le rythme, c’est pourquoi parfois, l’un tenait la perche sur l’épaule droite, l’autre sur l’épaule gauche. L’essentiel était de marcher à contre-pas pour ne pas imprimer à la gerle un balancement pénible et douloureux pour les porteurs.
Une autre méthode plus pratique pour les hommes, prendra le relais : l’attelage tiré par une vache ou un âne.
Dès l’arrivée des gerles au buron débutait le long processus de fabrication du fromage par le vacher. Pour avoir un produit irréprochable, il fallait utiliser le lait du jour. Les fromages devaient être bien faits, sans mauvais goût, d’une croûte unie et ferme, d’une pâte grasse et homogène. Un vrai savoir-faire.
LA COUPE DU CAILLE
Le caillé, masse blanchâtre chargée d’eau, est la partie caséeuse du lait riche en matière grasse qui se sépare sous l’action de la présure. Arrivé encore tout chaud dans la salle commune du buron grâce à la rapidité du transport depuis le parc à traire, la gerle, remplie de lait, était déposée près du feu de la cheminée pour éviter un refroidissement trop rapide, surtout quand la température extérieure était basse.
Le vacher, responsable de la fabrication du fromage, n’écrémait pas le lait, mais s’empressait de le cailler en versant quelques cuillérées de présure.
Au bout d’une heure le caillé ayant pris de la consistance, avec le frénial, ustensile formé d’un long manche muni d’une rondelle métallique (autrefois en bois), le caillé était brisé minutieusement. C’est pourquoi le frénial était ordinairement appelé le tranche caillé
LA SEPARATION DU CAILLE
L’action du vacher consistait à rassembler les brisures de caillé au centre et au fond de la gerle, par un mouvement circulaire, lent et régulier Avec la ’planche’, tracaïre en langue d’oc, ou encore trassadou.
Il s’agissait d’une simple planche de la largueur d’une main parfois percée d’une décoration en forme de coeur, présentant à sa partie inférieure un léger rebord, prolongée d’un manche.
Dans le Cantal on utilisait aussi un brise-caillé emboité dans le ramasse caillé.
L’ENLEVEMENT DU PETIT LAIT
Pour enlever le petit lait, on se servait du puisoir sorte d’écuelle en forme de champignon renversé,muni d’une poignée fabriqué à l’origine en bois, puis en fer-blanc et enfin en aluminium. Le puisoir était aussi appelé lou coupou ou poset.
Il permettait d’arriver à ce que le caillé soit bien égoutté. Il restait donc au fond de la gerle une masse blanche, la future tome.
Quant au petit-lait, il était versé dans l’écrémeuse pour récupérer la crème qu’il contenait encore, crème qui servira à fabriquer le beurre de montagne.
LE PASSAGE A LA PRESSE A TOME
Après avoir été égoutté, le caillé était vidé dans une presse à tome en bois (la catseuse) dans une toile grossière de chanvre. C’est cette opération qui a le plus évolué depuis la fin du 19ème siècle. Le vacher devait presser lentement et régulièrement le caillé pour chasser le petit lait qui restait. Le caillé prenait une forme de plus en plus compacte. On obtenait un premier fromage blanc, appelé la tome. Il fallait ensuite la laisser murir, c’est-à-dire la laisser fermenter.
Autrefois, cette opération s’effectuait avec les genoux et les mains pendant près d’une heure. L’invention de la presse à tome a simplifié le travail, libéré du temps pour le vacher et surtout amélioré la propreté en supprimant le pressage avec les genoux.
L’action de presser la tome demandait de l’attention et de la pratique. Ainsi, un bon vacher veillait, au moment de la pression, à ce que coule seulement que du petit-lait. Il retournait la tome aussitôt qu’il s’apercevait que les matières grasses (le beurre) sortait avec le petit lait
L’apparition de la presse marque une sérieuse évolution dans la fabrication du Cantal dans les burons du Cézallier. Des presses en série ont été commercialisées, mais de nombreux buronniers ont inventés des presses rudimentaires en adaptant les principes de base.
LE BRISE TOME POUR L’EMIETTEMENT
Instrument introduit dans le Cézallier vers 1880, le brise-tome ou moulin à tome ou encore fraiseuse, était un grand entonnoir en tôle galvanisée dans lequel on mettait la tome pressée et durcie.
Puis deux cylindres, munies de dents, actionnés par une manivelle la brisait, l’émiettait.
Les grains de tome étaient recueillis dans un grand récipient en bois placé au- dessous.
LA MISE EN MOULE
La tome salée était placée autrefois dans un moule à trois pièces en bois jusqu’au début du 20ème siècle, avant que les modèles en fer blanc ne s’imposent dans tous les burons.
Ces moules métalliques équipés de deux anses verticales s’ouvraient grâce à un fermoir double ou triple.
C’est le remplissage du moule cylindrique (une pièce par jour environ) « la forma » qui a donné son nom au fromage, et s’opérait par couches successives.
Lorsque le moule était bourré de tome émiettée, le vacher recouvrait le dessus d’un morceau de toile de lin. Très souvent dans le Cézallier, on habillait totalement l’intérieur du moule sur lequel s’appuyait le couvercle en bois
Installé sur le plateau de bois de la presse à fromage, le couvercle s’enfonçait lentement par la pression exercée par l’action du vacher.
Le vacher pressait doucement pour extraire un dernier reliquat de petit-lait.
LA PRESSE A FROMAGE OU LE PESADOU
Après la presse à tome, venait celle à fromage le pésadou. La tome émietté était salée, mise dans un moule entourée d’un linge et enfin placée sous la presse à fromage. C’était en effet lors de ce travail qui requiérait de l’habileté que la tome se rassemble pour former un tout compact et prenait peu à peu, après avoir été retournée souvent, la forme de fromage.
Au bout de la première demi-heure il fallait dessérer la pièce et la retourner. Après 48h, la pression avait fait son oeuvre, le produit tenait et avait pris forme. Le fromage pouvait être sorti du moule et apporté à la cave ;
Dans les burons, il y avait plusieurs modèles de presse.
Le système primitif appelé pésadou se composait d’un madrier chargé de gros bloc de pierre et se manoeuvrait à l’aide d’un levier. Il avait toutefois l’inconvénient de ne pas permettre de régler facilement la pression.
Par la suite le système toujours en bois s’est perfectionné
Le fromage restait environ 48h sous la presse, et devait être retourné fréquemment, surtout les premières heures. A chaque fois, le vacher devait changer les linges fins qui enveloppaient la pièce de fromage par du linge sec et très propre.
DANS LA CAVE
Le passage par la presse à fromage marquait la dernière étape de production d’une fourme. Après, le vacher transportait le fromage dans la cave voûté du buron ou pendant toute l’estive, il raclera, essuiera, retournera, prendra bien soin de ses pièces, des fromages dont le poids variait de 35 à 50 kilos.
Dans la cave du buron, les fromages disposés sur des planches ou des bancs grossiers se bonifiaient et formaient une croûte très épaisse qui assurait ainsi une longue conservation.
Durant la première semaine de l’affinage, le vacher devait surtout retourner les pièces tous les deux jours, sinon elles adhéreraient aux planches et s’aplatiraient, les tenir très propre, les brosser tous les deux jours avec une grosse brosse pour enlever la moisissure qui lui donnerait mauvais goût.
Les fourmes non brossées risquaient à la longue de se recouvrir d’une moisissure verdâtre qui pouvait atteindre un centimètre d’épaisseur.
Un mois et demi plus tard, la fermentation s’étant opérée, la fourme pouvait être mise en vente.
La vache rouge est la race originaire des Monts d’Auvergne, celle qui est la plus massivement présente sur les Estives du Cézallier. Présentation d’une race qui fait la fierté de notre territoire.
Les conditions climatiques extrêmes avec des hivers longs et rigoureux, des amplitudes de températures importantes ont contribué à forger une race du pays particulièrement adapté au relief très accidenté de notre territoire.
Aujourd’hui, la Salers est recherchée comme bonne laitière apte à bien nourrir son veau et à produire en même temps un lait transformé en fromages ainsi que pour sa viande d’une qualité hors du commun.
Portrait de la vache des Estives
La Salers est de couleur acajou plus ou moins foncé. C’est pourquoi on désigne aussi la race comme « vaches rouges ». Elle est reconnaissable également à ses cornes très caractéristiques en forme de lyre.
La hauteur au garrot sur les animaux adultes se situe en moyenne autour de 1,40m pour les femelles et 1,50m pour les mâles. Le poids des taureaux adultes est de 1000 à 1200 kg (650 à 850 pour les femelles).
Avec ses onglons noirs et ses excellents aplombs, la Salers présente une remarquable aptitude à la marche et elle peut également supporter de très longues périodes en stabulation entravée durant l’hiver.
Très résistante au froid ou à la chaleur, la vache rouge supporte sans aucun abri les fortes amplitudes journalières de température que l’on rencontre fréquemment sur les Estives du Cézallier. En cas de besoin, la Salers mobilise ses réserves en période de disette pour assurer une lactation suffisante à son veau. Elle les reconstitue rapidement en période d’herbe.
Les qualités maternelles de la vache Salers lui permettent d’avoir un veau lourd sevré par an.
Excellente productrice de lait, une vache adulte dépasse les 3000 kg de lait par an d’une très bonne qualité qui a sert à la production des trois fromages d’Appellation d’Origine Contrôlée d’Auvergne : le Salers, le Cantal et le Saint-Nectaire.
Grâce à ses aptitudes laitières, la race des Monts d’Auvergne est considérée comme la meilleure nourrice des races allaitantes.
Le programme de sélection de la race mis en place par l’UPRA, (Unité pour la sélection et la promotion de la race Salers) il y a plus de dix ans a permis de conserver les qualités maternelles de la Salers tout en améliorant sa capacité à produire une viande hors du commun.
Aujourd’hui la race Salers est présente dans 85 départements français comme mère à veaux ainsi que dans 25 pays étrangers.
Un atout pour la Haute-Auvergne
Compte tenu de ses qualités bouchères, la Salers est désormais réputée auprès des consommateurs. Les animaux de nos Estives sont proposés dans les boucheries de Blesle, Massiac et Allanche. Un éleveur commercialise depuis peu des cagettes en vente directe (voir notre fiche « Produits d’ici).
Les producteurs de viande Salers ont adhéré à différents labels, marques et certifications : Boeuf du Cantal saveurs d’espace, Viande de Salers saveur du Cantal, Boeuf d’Auvergne, Les éleveurs du pays vert, Broutard de qualité sélectionnée, Lou Vedel Cantalou....
Le cahier des charges de production apporte aux consommateurs des garanties de qualité. Par exemple, les animaux doivent être nourris à l’herbe et aux céréales pour bénéficier de l’un de ces labels.
UPRA Salers, 26 rue du 139ème RI, 15002 Aurillac
Tel : 04 71 45 55 95 ? Fax : 04 71 45 55 98
Site Internet : www.salers.org
Le parc était en fait l’étable de plein air afin de rassembler les bêtes durant la nuit et pendant les deux traites quotidiennes. Il remplaçait l’étable d’hiver. Quadrilataire, ce parc était composé de claies mobiles qui étaient quotidiennement déplacés sur trois côtés afin de « fumer » (d’où le nom de fumade) une partie de la « Montagne ».
Durant une estivade, grâce au système mobile du parc, on arrivait à engraisser environ 20% de la superficie d’une « Montagne », parfois plus. L’engrais naturel ainsi répandu et le piétinement des vaches amélioraient considérablement le revêtement végétal.
Si pendant la journée le berger surveillait le troupeau sur les estives (l’aiguade), durant la nuit, le matin et le soir pour la traite, les vaches laitières étaient rassemblées dans cette structure légère indissociable de la pratique de l’estive.
Les claies étaient des barrières de bois dur de 2,50m de long par 1,20m de hauteur. Mises bout à bout, elles formaient un enclos suffisamment stable pour retenir les bêtes.
Pour protéger le troupeau de la pluie et du vent, assurer un coupe-vent au vacher lors de la traite, on plaçait également des barrières pleines appelées « redas » beaucoup plus difficiles à déplacer en raison de leur poids.
Si au début de l’estive le parc était proche du buron, au fil des semaines il s’en écartait, ajoutant au travail quotidien des buronniers des déplacements et surtout un retour au buron pénible avec la gerle remplie de lait. Quand le vent était tranquille, construire le parc était une besogne facile, mais quand il soufflait un peu fort, il fallait s’arc-bouter pour ne pas être emporté.
La pratique de la fumade supposait des déplacements fréquents des lieux de parcage de manière à faire bénéficier des engrais animaux la plus grande étendue possible de prairies.
Tous les buronniers savaient bien que l’équilibre végétal qui forme les herbages d’altitude est instable et qu’il se maintien que si pour une surface donnée il y a pacage régulier par un nombre optimal de bêtes. Une répartition égale de la charge pastorale entre les différentes parties de la montagne supposait le déplacement systématique des parcs. La qualité de l’alimentation en herbe des bêtes reposait donc aussi sur les buronniers.
Les conditions de repos des buronniers pendant l’estive étaient accompagnées d’une forte promiscuité des hommes avec le matériel de la fromagerie et avec les animaux. Dès l’origine, le buron a été pensé comme un outil de travail, laissant de ce fait la vie domestique des buronniers.
Dans les premiers burons, une simple paillasse dans un coin de la fromagerie accueillait le buronnier au milieu de l’humidité et des odeurs de petit lait et de fumée. Ces conditions de vie précaires ont duré fort longtemps dans la plupart des burons du Cézallier. Des lits en bois ou en métal formaient le seul espace de sommeil.
Ce n’est que tardivement, peu avant la seconde guerre mondiale, qu’une place a été parfois aménagée au personnel du buron, la plupart du temps à l’extrémité du védélat où dans la grange.
Par contre, dans les burons-fermes, des chambres ont été aménagées à l’étage. Une évolution considérable, mais tardive.
Témoignage d’André
"...Le soir après avoir regroupé les vaches au parc, on s’asseyait devant la porte d’entrée du buron pour discuter un peu. Mais, fatigué par la longue journée de travail, on ne tardait pas à aller se coucher dans notre lit en planches sur lesquelle reposait une paillasse en feuilles de chêne. L’édredon était lui aussi composé de feuilles de chêne. On avait chaud malgré tout..."
La montade pour l’Estive est depuis très longtemps une tradition et une pratique quasi incontournable pour conduire les bêtes sur les hauts-paturages du Cézallier. Témoignage du départ de l’estivade à Allanche en 1912.
« Au départ pour l’estivade, laitiers, pâtres et valets disent, à la maison de la ferme, un adieu fait de regret et de joie. Ce n’est que pour une absence de quatre gros mois...
La route est parfois longue jusqu’aux pâturages plantureux. Combien de vacheries qui, au départ des villages d’Allanche ou des communes voisines pour gagner les Montagnes, communes de Pradier, du Luguet et du Cézallier, viennent des environs d’Aurillac, de Vic, d’Arpajon, voire même de Laroquebrou. C’est surtout depuis que la ligne de Neussargues à Bort a été ouverte qu’arrivent les vacheries d’au-delà du Puy-Mary.
C’est vers la fin mai que les vacheries débarquent par des trains spéciaux, jetés sur la vaste esplanade de notre gare d’Allanche. Pour les animaux, la route est trop longue pour venir à pattes. De l’intérieur des sombres wagons partent des rugissements, puis, quand le troupeau se sent à destination, ce sont les beuglements répétés des vaches-mères et des jeunes veaux qui s’appellent mutuellement.
Les wagons s’ouvrent, le tableau devient indescriptible. C’est un chassé croisé d’animaux d’âges variés se cherchant, se bousculant après la longue immobilité du voyage.
De nombreux propriétaires ou fermiers sont là au débarcadère, chaussés de hautes bottes et dans un costume un peu plus soigné que la tenue modeste du fromager et des pâtres. Ils ont l’oeil à tout, tandis que leurs hommes s’occupent de tenir et de diriger le troupeau, si remuant qui vient de retrouver la liberté du grand air.
LA GRANDE EFFERVESCENCE A LA GARE D’ALLANCHE
Après les vaches, voici une autre espèce qui débarque. Ce sont les nombreuses familles de porcelets dominés par la haute taille de leur mère. Ils grognent de faim. On va les conduire à la « Montagne » consommer le petit lait et faire du bon lard.
Pendant que les troupeaux s’éloignent de la gare en gagnant le pont d’Outrelaigue, des bras vigoureux jettent hors des wagons une provision de paille. On la partagera à destination, entre le sol de l’écurie ou coucheront les veaux et les paillasses sur lesquelles reposeront les pâtres et leurs chefs, le fabricant du fromage
Pêle-mêle s’amoncèlent encore sur le quai de la gare les ustensiles qui vont servir à traiter le lait. Ce sont les guerlous de bois, dans lesquels, au parc puis au buron, fumera chaud le lait puisé à sa source. Voici un autre récipient débarqué, c’est celui ou l’on versera le petit lait écrémé abandonné sans mesure aux cochons. Voici ensuite les formes larges ou le caillé sera pressé pour faire le fromage.
Toujours sur le quai, alors que les animaux sont tous partis, gisent des piquets brûlés à une extrémité tout prêts pour réparer la clôture de la montagne, ceinturée de fil de fer hérissé de pointes. Nos pères ignoraient ce progrès.
Sur le quai s’entasse des planches et de pieds-droits, prêts à être ajustés pour devenir les claies dont se clôturera le parc ainsi que les redas , ces paravents qui abriteront la vacherie contre les intempéries nocturnes. Le patron fera voiturer sans retard tous ces objets.
UNE MARCHE RAPIDE VERS LES ESTIVES
Mais retrouvons le troupeau efflanqué qui marche d’un pas décidé vers les pâturages. Le premier arrêt naturel c’est le foirail d’Allanche. Il faut voir alors l’agilité des petits et des grands pâtres, imposant leur volonté à ces troupeaux impatients, tantôt par la menace, tantôt par de retentissants coups de bâton. Je remarque ce petit pâtre qui accompagne un troupeau venant de Laroquebrou s’activant autour de son troupeau pour le regrouper près des grilles de l’école publique. Minuscule de taille, il s’agite, courait en marge du troupeau, agitant vigoureusement ses petits bras, allongeant un coup de soulier à une vache, un coup de sa main caressante à un petit veau.
Le troupeau est un moment réduit malgré lui à un repos momentané, les hommes se ravitaillent sur le pouce et cassent la croûte et avalent d’un trait le verre de vin que mademoiselle Lucie leur sert en plein foirail. Cette halte n’est jamais omise et les habitants de ce quartier de la ville pourraient compter les nombreuses vacheries qui au printemps font entendre leur concert sur le foirail.
Mais la marche du troupeau doit reprendre. Voici la route vers les Estives bordée d’herbe fraîche, nourriture exquise sur laquelle les animaux se précipitent avidement sans suspendre leur marche. Et voici que sous la poussée de plusieurs bêtes qui avancent à la fois, les fils de fer de la clôture se rompent. Mais la grande partie du troupeau marche et broute sur les bords « des héritages ». Les pâtres ne s’en émeuvent pas outre mesure...
La migration continue vers les vastes paysages qui s’annoncent. La montagne n’est plus bien loin. Hommes et bêtes le sentent et sont impatients d’arriver sur leur « Montagne », celle ou l’on passera tout l’été.
Paru dans le bulletin paroissial d’Allanche (1912)
Le train dans le Cantal a tenu un rôle majeur pour le transport des animaux vers les pâturages d’estive notamment sur le Cézallier. Il représentait aussi une animation permanente là où il passait, dans les lieux reculés comme dans les villages. Un jeune berger exprime son intérêt pour le train et la vie au buron.
... « Agé de 15 ans en 1960, je travaillais, employé à l’année, comme berger à la ferme de Manhal, située à l’entrée de Laroquebrou, côté Pont-d’Orgon. La première quinzaine de mai constituait un grand moment dans les grandes fermes appelées vacheries, celui de la montée des troupeaux à l’estive.
Durant l’été, les vaches de la race Salers allaient manger l’herbe grasse d’altitude ; l’herbe d’en-bas était stockée sous forme de foin pour l’hiver.
Le jour du départ, il fallait être à la gare pour l’embarquement de notre quarantaine de vaches et leurs veaux, dans quatre wagons qui nous étaient attribués. Trois vacheries des alentours, de Nèpes près du barrage, de Guirbal près du Pont-d’Orgon et de la Barthe près du pont enjambant les voies de la gare de Laroquebrou se joignaient à nous chaque année pour former un train complet à l’aller comme au retour.
On s’entendait bien. Deux des vacheries disposaient de cinq wagons chacune, la notre, de quatre. Cela faisait un total de dix huit wagons plus le fourgon de queue. L’embarquement devait être bien organisé pour ne pas mélanger les troupeaux et surtout pour que le train parte à l’heure.
Chaque vacherie était représentée par trois personnes : le vacher, le bouteiller et le berger, si bien que dans le fourgon nous nous retrouvions à douze, sans compter un ou deux propriétaires qui faisaient parfois le voyage en train avec nous.
La longue rame de transhumants partait de Laroquebrou vers 9 heures derrière une 141 TA. Puis à Aurillac une deuxième locomotive était attelée en tête ou en pousse, selon les besoins du service de la Traction, pour gravir la rampe de Vic-sur-Cère au Lioran. L’adjonction de cette machine à Aurillac évitait la création d’une marche indéterminée jusqu’à Vic.
Sous la grande marquise de la gare d’Aurillac, notre train effectuait un arrêt assez long. Un peu d’agitation de la part des agents de la gare mais surtout que de bruits ! Sonneries, ronronnement des moteurs des autorails ADP, VH ou AJB, annonces et bien sur meuglements de nos bêtes.
Dans la montée du Lioran, on cassait la croûte tous ensemble, avec le chef de train, les portes du fourgon grandes ouvertes, les jambes pendantes sur les marchepieds. Avec la machine de pousse juste derrière, donnant le rythme par son échappement, notre sauciflard était inévitablement « fumé ». Le fromage était bien entendu du « Cantal jeune » avec une croûte d’un centimètre ! et le petit tonneau de vin offert par le patron contenait du « Gros rouge cheminot sept degrés ».
A chaque arrêt je descendais pour entendre le bruit de la pompe de la 141 TA et respirer les odeurs de fumée de charbon, d’huile chaude et de vapeur. Quelle sensation aussi à la première traversée du souterrain du Lioran) C’étaient là mes tous premiers voyages en train.
Après le rebroussement de Neussargues avec ces mystérieux fils au-dessus des voies (les caténaires), nous arrivions à Landeyrat vers 14H30. Il nous restait une demi heure de marche à travers « la Montagnoune Haute » pour rejoindre notre buron, celui de La Rochette, situé à 1130m d’altitude. Certains de mes collègues devaient marcher un peu plus. Mon ami d’enfance Antonin Latreille travaillait lui aussi comme berger chez un éleveur de Nieudan. Parti de la gare de Nieudan-Saint-Victor et arrivés à Riom-ès-Montagne via Bort-les-Orgues, ils rejoignaient à pied le buron de La Bastide près de Cheylade, après plusieurs heures de marche. Lorsqu’ils allaient au buron de Paretounes, au sud de la gare de Landeyrat, la distance était moindre. D’autres par choix ou par nécessité, n’utilisaient pas le chemin de fer , ils partaient à pied avec leurs vaches, une partie par la route , moins dangereuse à l’époque, une partie à travers la montagne. C’était le cas d’un éleveur de Salvanhac , sur la route de Siran ; il allait passer les mois d’estive dans les pâturages entre Malbo et Brezons, au sud du Plomb-du-Cantal. La caravane partait vers 21 heures, marchait toute la nuit et, après avoir franchit le col de Curebourse, arrivait à destination le lendemain vers 17 heures..."
Départ pour la montade
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Extrait du témoignage de Georges Ségerie dans le livre de Patrick Garinot « Le triangle du Cantal I, la lignes Bort-les-Orgues-Neussargues (2001), Editions Presse&Editions Ferroviaires.
La ligne de chemin de fer Bort-les-Orgues-Neussargues traversait le plateau du Cézallier. En dépit de ses imperfections et de ses lenteurs, la ligne transforma largement la vie économique du Cézallier. Le trafic du fromage et des bestiaux y gagnèrent en rapidité et en ampleur. Le train a profondément modifié le genre de vie des paysans et surtout facilité les échanges.
La ligne de chemin de fer Massiac-Murat fut ouverte le 16 août 1866. Mais il faudra attendre 1879 pour que soit décidée la construction d’une ligne traversant le Cézallier entre Neussargues et Bort les Orgues à la suite de la pression des parlementaires cantaliens durant plusieurs années. A la fin du 19ème siècle, la concurrence était rude entre les deux compagnies privées Paris-Orléans (PO) et Paris-Lyon-Méditerranée ((PLM) qui se disputaient le trafic rémunérateur des vins du Languedoc à destination de Paris par une liaison la plus courte possible nord-sud
La ligne Neussargues Bort fut concédée le 17 juin 1892 à la Compagnie Paris-Orléans et son tracé souleva de vives discussions. L’itinéraire qui fut retenu passait par Vebret, Riom-ès-Montagne, la vallée de la Grolle, Marchastel, Saint-Bonnet-de-Condat, Landeyrat et Allanche. Afin de desservir l’important bourg de Condat, on décida de décrire une grande boucle vers le nord en partant de Riom.
Cette ligne transversale à voie unique avait une longueur totale de 71, 24 km. Commencée en 1903 à ses deux extrémités, elle fut ouverte aux voyageurs en deux fois, le 2 décembre 1907 entre Neussargues et Allanche et entre Bort et Riom, le 11 mai 1908 entre Riom et Allanche, assurant ainsi la jonction. Elle fut inaugurée le dimanche 5 juillet 1908 par le ministre des Travaux publics, Louis Berthou ( coût de la ligne, 20 millions de francs de l’époque).
UNE LIAISON FERROVIAIRE AUDACIEUSE
Les difficultés de construction n’ont pas manqué. Sur son tracé, la ligne passait sur une grande partie de son parcours dans une région de plateaux avec de fortes déclivités comprises entre 20 et 30%, les courbes étaient très accusées surtout entre Bort et Condat où le sol a été fortement érrodé par les glaciers et où les buttes choquées fourmillent. Il fallu aussi construire cinq viaducs dont celui de Barajol désormais inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques, des ponts et quatre tunnels.
En dépit de ses imperfections et de ses lenteurs, en 1925, il fallait deux heures et demi pour relier Neussargues à Bort, la ligne transforma largement la vie économique du Cézallier. Le trafic du fromage et des bestiaux y gagna en rapidité et en ampleur, celui du vin fut un échec. Le train a profondément modifié le genre de vie des paysans et surtout facilité les échanges.
La SNCF mettra fin au trafic voyageurs le 26 mai 1990 et au trafic marchandises un an plus tard, le 27 mai 1991. La voie a été neutralisée à la fin de l’année 1991. A partir de l’été 1996, un service de vélorail a été créé entre Neussargues et Lugarde.
Comme partout sur le Cézallier, les « Montagnes » revivent durant six mois. L’estive était massivement pratiquée sur la commune de Vèze où les burons connaissaient encore au milieu du vingtième siècle une intense activité. Ainsi au buron de la Montagne de Vèze. Récit
"La saison de l’estive avait lieu à des dates immuables : du 15 mai au 9 octobre de chaque année. La Montagne communale de Vèze accueillait les vaches de tout âge : les « bourettes » (de plus d’un an), mais surtout les « bîmes » (de plus de deux ans) et quelques vaches adultes taries. Parfois s’y mêlait un taureau. Tous ces animaux étaient des « Salers » même si trois où quatre « Aubrac » se perdaient dans la masse des 200 à 300 bêtes du troupeau. Dans les années quarante, il n’y avait très peu de fils barbelés. Les limites de la Montagne étaient donc signalées par de grosses pierres, « les caïres » posées de loin en loin. Mais ces limites que nous devions respecter étaient toutefois approximatives.
Dès le 14 mai arrivaient à la Montagne d’abord les bêtes du village de Vèze, à pied comme il se doit. Les 15,16 et 17 mai parvenaient les « étrangères » d’Aurillac, Mauriac, Maurs et même de l’Aveyron. Arrivées en train jusqu’à la gare d’Allanche elles finissaient le trajet à pied au son des clochettes et autres sonnailles.
Une journée bien remplie
Chaque propriétaire avait sa marque pour ses bêtes et le bâtier tenait bien à jour un carnet sur lequel il indiquait pour chacun le nom, la marque, le nombre de bêtes avec un descriptif sommaire complété par l’adresse du propriétaire.
Dès 7 heures du matin, les vaches partaient pour les « bordures » de la Montagne. Pour éviter le gaspillage de l’herbe, toute la matinée, le troupeau était ainsi maintenu le long des limites de la Montagne par deux bergers : un côté Montagne et l’autre côté bordures. Le troupeau se disposait alors en un long ruban surveillé sur les longs côtés.
A midi, les bêtes rentraient au parc jusqu’à 15 heures. Ce parc carré de cent claies, dont un côté de claies pleines, les redas, était déplacé tous les deux jours ce qui permettait la fumade. Après 15 heures, le troupeau allait paître presque en liberté surveillé par un seul berger qui évitait la dispersion des bêtes. Le matin et l’après-midi, le berger veillait à faire boire les bêtes dans les grands troncs de sapin creusés, les bachasses, déposées près des sources. A la tombée de la nuit le troupeau regagnait le parc.
Le berger devait aussi veiller à l’état de santé des animaux, donner les premiers soins et prévenir les propriétaires s’il n’y avait pas d’amélioration, d’ou l’importance des marques.A la fin de la saison le salaire forfaitaire était versé par la mairie de Vèze, propriétaire de la Montagne".
Bâtier avec sa famille à la Montagne de Vèze en 1945 (Louise et Ernest Vire, Denise Vire, Jean-Louis Fourcoux)
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Le dernier bâtier à vivre l’estive au buron de la Montagne de Vèze fut Marius Chazelon. De 1946 à 1971, avec sa femme, ils quittaient chaque année le hameau de Béteil pour exercer un métier qui n’était pas de tout repos. Un métier avec beaucoup de responsabilités et une réelle liberté d’initiative.
Imaginez le désarroi des buronniers, là-haut sur leurs montagnes du Cézallier, quand l’écrémeuse, la machine indispensable pour briser la tome à fromage, ne fonctionnait plus. Il ne restait plus qu’une seule solution : appeler rapidement Henri Kaiser le quincaillier d’Allanche, spécialiste des articles de laiterie. Il n’y avait pas plus compétent que lui sur le Cézallier pour trouver le problème et redonner aux écrémeuses toute l’efficacité de leur fonction.
« C’est vers mes douze ans que j’ai commencé à accompagner mon père dans les burons du Cézallier pour réparer le matériel nécessaire à la fabrication du fromage. La machine qui tombait le plus souvent en panne, c’était l’écrémeuse. Mon père, très adroit, s’était fait une spécialité de réparateur d’écrémeuse. Tous les buronniers le connaissaient. Lorsque la machine tombait en panne, l’un des hommes du buron descendait aussitôt à Pradiers à la cabine téléphonique publique pour appeler mon père. Elle était installée chez Mademoiselle Belon, couturière du village. Par la suite ce fut aux cafés Messerli ou Brugerolle.
L’écrémeuse utilisée dans les burons du Cézallier était presque toujours de la marque « Alfa Laval », une société qui avait son usine de fabrication à Nevers et qui vendait également des machines à traire et des installation de laiteries dans les années 50.
L’écrémeuse était un matériel indispensable dans les burons. Après le caillage du lait dans la gerle, le caillé était esséché du petit lait qu’il contenait. Il était ensuite mis en tas et pressé pour faire le fromage tandis que le petit lait était passé dans l’écrémeuse pour en retirer la crème qui servait à faire le beurre. Le reste du petit lait extrait de sa crème était donné aux cochons pour les engraisser.
Le plus souvent, les interventions sur les écrémeuses concernaient le réglage de la vis à crème, exercice très pointu que mon père assurait facilement dû à son expérience, les soudures des assiettes se trouvant dans le bol et le changement des roulements.
Le tournage de l’écrémeuse se faisait à la main avec une grande manivelle à manoeuvrer avec force mais toute en douceur afin d’éviter les secousses.
La réparation devait être rapide. Si la réparation demandait un certain temps, mon père emportait l’écrémeuse dans son atelier d’Allanche. Une écrémeuse de dépannage était prêtée et installée au buron par mon père. Lorsque je l’accompagnais, je faisais le manoeuvre en lui passant les outils, cela m’a permis durant quelques étés de faire le tour des burons du secteur Allanche-Pradiers-Vèze.
Les rapports entre mon père et les buronniers étaient très cordiaux. Une fois la réparation terminée, c’est un bon casse-croûte qui nous attendait. Une bonne tranche de jambon cru suivi du fameux Cantal sorti directement de la cave. Je me souviens de son goût incomparable. Le tout, servi avec le vin rouge tiré du tonneau, une affreuse piquette que j’avais du mal à avaler et pas seulement à cause de mon âge. Mais les buronniers le trouvait à leur goût.
Avant de quitter le buron, un dernier contrôle de l’écrémeuse s’imposait. Mon père en bon commerçant en profitait aussi pour proposer des articles les plus courants pour les activités à l’estive : graisse à traire de sa fabrication, toile à fromage, brosse à chiendent, balai piazza, tablier de laitier, présure, huile pour l’écrémeuse...Et nous repartions vers Allanche confiant après avoir redonné vie à l’écrémeuse... »
Pierre Kaiser
Cinq heures, le jour se lève en ce jour d’été. L’horizon s’éclaircit sur les croupes du suc de Fondevialle et de la Brèche de Giniol. Quelques brumes emplissent encore le vallon du ruisseau de la Meule entre le bourg de Vèze et le hameau du Lac. Marcel doit partir sur sa montagne pour la traite.
« Comme chaque matin Marcel le vacher s’éveille de bonne heure. Il écarte les rideaux de l’alcôve de la grande pièce commune, soulève les couvertures. Assis sur le bord du lit, les pieds sur le coffre de bois, il enfile ses vêtements. Le café noir, fait la veille, tinte en glougloutant, en tombant au fond de la petite casserole... Une allumette craque... La mèche du réchaud à pétrole s’enflamme... Bientôt le café chante au fond du récipient. Marcel l’avale tout chaud puis sans perdre de temps il enfile le bourgeron, endosse le bidon à bretelles, empoigne le seau en fer blanc. Il est prêt pour démarrer la journée là- haut sur les estives.
Sa chienne Fauvette l’attend devant la porte. C’est son compagnon de route en ces heures matinales, au même titre que la cigarette de gris roulée.
Et c’est parti pour une demi heure de route par un chemin creux, caillouteux, mal aisé. Les galoches ferrées résonnent sur les larges pierres.
Marcel traverse le village qui s’éveille difficilement avec les chants des coqs qui se répondent, les aboiements de quelques chiens, les jurons de quelque fermier encore mal réveillé. L’eau de la fontaine chantonne encore. Dans quelques instants, elle sera plus discrète, les bruits du jour l’auront avalée. Les crêtes des toits, les silhouettes des arbres se découpent peu à peu sur le levant. Les premières fumées quittent les cheminées et montent dans le ciel clair.
Le chemin s’élève entre les prés bordés de haies, d’où monte l’odeur des foins fraîchement coupés. Puis c’est le plateau, vaste étendue légèrement vallonnée. Les arbres ont disparu. La monotonie des courbes est rompue par les rangées rectilignes de barbelés délimitant chaque « montagne » et les vedeliers, ces baraques en planches où dorment les veaux, posés ça et là derrière une murette ou un bouquet de buissons, près d’une source ou d’un ruisselet. C’est la montagne à vaches. Marcel la connaît bien depuis le temps qu’il y revient chaque jours durant l’estive.
Le domaine de l’Estive
A l’approche de la montagne Fauvette a déjà quitté son maître. Elle a senti les quatre vaches à l’autre bout de la parcelle, sur un faux plat où elles dorment encore, couchées au milieu des gentianes. A l’arrivée de la chienne, elles se lèvent, s’étirent et se « lâchent ». Lentement elles s’approchent de la baraque où leurs veaux ont passé la nuit. Fauvette les suit calmement sans aboyer, sans agressivité. On vit ensemble que diable. Chacun connaît les règles et les respecte. Chacun a ses pouvoirs et les appliquent. C’est la loi de la montagne et de l’estive.
Dans le parçou, l’enclos entouré de claies en bois devant la baraque, Marcel a lâché les veaux qui gambadent et commencent à appeler leur mère en devinant leur approche. Il a posé son bidon et le seau en fer blanc à même le sol. Il attache la selle à un seul pied avec un harnais en cuir, vérifie que sa corne à sel est bien pleine. Calmement assis sur la selle, le seau à portée de main il roule une deuxième cigarette en attendant l’arrivée des laitières.
Les voilà ! Chaque vache attend, dans le calme, près du parçou. Elles ont l’habitude. Un veau est lâché. Il file sous sa mère et avale goulûment les premières gorgées de lait. Le plaisir sera bref : le temps de goûter les quatre mamelles pour amorcer la traite, amirer . Bientôt, la corde entoure son cou et les bras puissants de Marcel le repoussent jusqu’à la jambe avant de sa mère où il sera lié pendant la durée de la traite.
Une poignée de sel sur le dos du jeune animal calme la vache rouge, qui, d’un large coup de langue, récupère cette friandise et la savoure. Le vacher s’est assis, bien campé sur sa selle, le seau en fer blanc coincé entre les jambes. Les doigts puissants serrent et tirent les mamelles opposées. Le lait chaud et odorant gicle en chuintant au fond du seau.
Peu à peu le liquide blanc, recouvert d’une écume crémeuse emplit le récipient. La vache n’a pas bougé. Trois mamelles sont vides. Marcel se lève déjà... et la quatrième ? Il tire sur la corde. La boucle cède et libère le veau qui se précipite vers le pis et trouve rapidement la mamelle restante où il va se régaler goulûment. Le lait est vidé dans le bidon. Une toile fine, tendue avec quatre épingles à linge sur l’ouverture sert de filtre. L’opération est recommencée pour chaque vache.
Mais aujourd’hui Marcel n’est pas seulement venu à la montagne pour traire. Le plus âgé des veaux mâles et déjà bien gras est recouvert par notre vacher d’un sac en toile de jute. Quel accoutrement ! Ce n’est pourtant pas carnaval ! Mais quel mauvais présage pour le veau car dans quelques jours, il sera vendu au boucher du canton d’Allanche. Le sac de toile imprégné de son odeur sera désormais placé sur le dos de l’un de ses congénères qui le remplacera auprès de sa mère pour amorcer la traite.
La traite est finie ou presque. Chaque veau est équipé d’une muselière hérissée de piquants. S’il lui vient à l’idée de se servir directement au pis, pendant la journée, la mère, blessée par les pointes, le chassera bien vite et il ira brouter à volonté sa ration d’herbe tendre et savoureuse ou courir dans les vastes espaces de cette partie du Cézallier oriental. Les vaches attendent car Marcel doit enduire leurs mamelles fragiles de graisse. L’opération terminée, elle accompagnent comme chaque jour leur progéniture vers l’abreuvoir et avalent leur ration d’eau pour la matinée avant de s’égayer dans les verts pâturages.
Marcel a rangé sa selle et la boite de graisse dans la cabane. Assis sur le bidon qu’il vient de refermer, il roule une cigarette pour le retour vers le village tout en regardant se disperser son minuscule troupeau.
Le seau à la main, le bidon sur le dos, Marcel referme le travers, jette un dernier coup d’oeil sur son petit troupeau et prend le chemin du retour. Le bidon est lourd, le seau est plein, mais le chemin descend vers le village où tout s’anime.
Il retrouve sa maison maintenant inondée de soleil. La soupe fumante vient d’être trempée dans un bol recouvert d’une assiette retournée. Marcel était attendu.
Denis Hermet
Estives des Fortuniers près de Vèze
André Jarry a été deux années de suite valet au buron de Ciment près du bois de Chamalière, dès ses 18 ans en 1950 avant son service militaire. Il se rappelle encore avec une certaine nostalgie cette vie de valet, qui était au buron ce que le mousse est au navire.
« Au buron de Ciment,l’un des plus proches du bourg de Vèze, au début des années cinquante, nous fabriquions chaque jour en juillet une pièce de Cantal de 40 kilos, se souvient André Jarry. En septembre, deux pièces tous les trois jours, mais c’était le meilleur fromage car il était beaucoup plus crémeux. Avec le petit lait on arrivait à faire environ 30 kilos de beurre par semaine.
Au buron du Caire, le Cantal fabriqué était particulièrement apprécié pour son goût. En effet, une plante de réglisse prolifère dans les herbages environnant ce qui donnait au fromage une saveur incomparable.
Chaque mois, le propriétaire des vaches mises à l’estive, venait retirer des caves voûtées les pièces de fromages qu’il revendait à des afineurs.
La location de la montagne durant l’estive représentait environ 200 kilos de fromage par vache ».
Plus bas, durant une vingtaine d’années (37-57), la petite laiterie de monsieur Serre, implantée au coeur du bourg de Vèze, effectuait quotidiennement le ramassage du lait dans les trois villages de la commune, Le Moudet, Aubevio, Le Lac. A partir de ce lait il fabriquait un Cantal, commercialisé notamment auprès des habitants du bourg
L’estive, André Jarry l’a connue deux années de suite comme valet au buron de Ciment près du bois de Chamalière, dès ses 18 ans en 1950 avant son service militaire. Il se rappelle encore avec une certaine nostalgie cette vie de valet, qui était au buron ce que le mousse est au navire.
« Comme valet, précise-t-il, je lavais le matériel de laiterie, j’assurais la soupe et la corvée d’eau au bac. Je soignais également les cochons avec le petit lait.
Nous étions trois au buron de Ciment du 10 Mai au 10 Octobre. Le vacher s’occupait exclusivement de la trentaine de vaches et de leurs veaux.
Même si la journée était longue, la montagne était en fait beaucoup moins dure que la ferme. Et ce que nous apprécions particulièrement, c’était une certaine liberté que nous ne trouvions que là-haut ». Une liberté certes, mais au prix d’un travail exigeant qui débutait à l’aube. « Je me levais à 3 heures du matin pour la traite jusqu’à huit heures, période de travail suivie d’une sieste. Après le repas de midi, le lait était transformé en fromage selon les techniques anciennes. Vers 15h30, reprenait la deuxième traite quotidienne et cela jusqu’à 19h. . Les bêtes étaient rassemblées dans un parc en bois.
Il nous arrivait fréquemment de nous retrouver entre buronniers pour faire la fête. On jouait de 1 ’harmonica et de l’accordéon ; on chantait les tubes de l’époque, des chansons apprises à la foire d’ Allanche, d’où l’on rapportait les partitions des succès de Georges Guétary, les soeurs Etienne, Tino Rossi, Piaf... On allait aussi à la pêche à la main dans le Ruisseau de la Fontaine Saint-Martin. Les truites capturées changeaient notre ordinaire composé le plus souvent de lard. A l’occasion, des filles de V èze venaient danser avec nous là-haut. Chaque buron à tour de rôle préparait ces retrouvailles.
C’était une vie bien réglée, spartiate et sans confort, pendant cinq mois « que je ne regrette pas » assure André Jarry, qui a exercé par la suite, comme son père, le métier de menuisier".
Au buron de Ciment, le soin aux cochons dans les années 1960
Jean Louis fut l’un de ces hommes, buronnier l’été à l’Estive . Et ce n’était pas une partie de plaisir, même si la vie là haut sur la « Montagne » avait des allures d’indépendance, mais au prix fort, celui de journées interminables marquées par la double traite quotidienne, la fabrication du fromage et des conditions de vie très difficiles. Mais comme la plupart des buronniers, l’évocation de la vie d’en haut trahie à chaque fois l’émotion. L’expérience de l’estive reste inoubliable.
« On ne m’a pas demandé mon avis pour aller travailler dans un buron. Enfant de l’assistance publique, j’avais un tuteur qui m’a loué comme ouvrier agricole dans une ferme près de Murat.
L’exploitation mettait chaque été les vaches à l’estive sur la Montagne de Courbière située sur la commune de Pradiers, rien que des Salers sélectionnées pour leur bon rendement en lait..
J’avais 15 ans quand je suis monté pour la première fois au buron de Courbière-haut comme aide-vacher, puis en 1961 et jusqu’en 1964.
L’estive c’était quand même moins dur que le travail de la ferme, il y avait moins de nettoyage, on était plus libre. Mais quel boulot, on n’arrêtait pas. Il n’y avait pas de jour de repos. On n’allait même pas à la fête d’Allanche, il fallait trop marcher pour s’y rendre et surtout revenir. Ce qui fait que durant l’estive, les hommes avaient peu de relations avec leurs familles.
Le matin au lever, quand il fallait remettre le pantalon mouillé de la veille, c’était très dur et fort désagréable.
On partait au parc avec notre selle et la gerle, parfois à plus d’un kilomètre du buron sur la « Montagne ». Comme partout, c’était un parc bougé tous les deux jours. Une année sur la moitié de la Montagne, une année sur l’autre, ça permettait de fumer les 87 hectares en alternance. On avait 48 claies (quatre fois douze) suivant la grandeur du troupeau et 10 redats qu’on bougeait tous les deux jours. Ces coupe-vents pesaient très lourd. Avec le vent c’était affreux. Parfois je les traînais quand j’étais fatigué. Pour l’estive de 1964 on est passé au « berger électrique ». Le parc avec les claies a été remplacé par une clôture électrique.
La traite avait lieu dans le parc. On graissait les pis des vaches, matin et soir pour éviter qu’elle ne se blesse. Il ne fallait surtout pas oublier de le faire. Le produit était vendu à la quincaillerie d’Allanche. Quand une vache avait une mammite, on avait la chance d’avoir notre vacher qui avait un don pour faire passer le mal.
Le pâtre qui était le fils du patron, arrivait avec les veaux qui dormaient la nuit dans le védélat du buron. Parfois c’était dans le brouillard, il s’est plusieurs fois perdu. Heureusement qu’il y avait les cloches. Toutes les vaches et les veaux avaient une cloche. C’était beau à entendre dans la montagne. D’ailleurs, les vaches pacagaient mieux au son des cloches. Elles étaient habituées. Chaque troupeau avait un son différent. On pouvait même repérer à quel buron elles appartenaient.
Après la traite, nous avions une petite fierté, celle de fermer les gerles avant les autres burons des autres montagnes proches. Le premier qui tapait les deux gerles en même temps, on savait alors que la traite était terminée chez le voisin. Le son porte très loin sur les estives.
Le lait était mis dans deux gerles, deux fois 14 seaux le matin et un peu moins à la traite du soir. Porter les gerles c’était très pénible, il fallait trouver le pas pour ne rien renverser, tout comme lors du déchargement au buron des gerles remplies de lait. La dernière année on atelait une paire de vaches pour tirer un char sur lequel on mettait les gerles.
La présure venait de la quincaillerie d’Allanche où elle était vendue en bouteille d’un litre. Il fallait 8 centilitres de présure pour 140 litres de lait.
Les repas un moment de repos banal
Pour les repas et faire chauffer le café, on utilisait des tiges de gentianes sèches pour les faire brûler dans une vieille cuisinière. C’est moi qui faisais le feu.
Le petit déjeuner était pris vers 8 h après 5h de travail : soupe au fromage, un morceau de lard, du fromage et un peu de beurre sur du pain-bis la plupart du temps moisie. Quand on tournait le pain à l’envers on disait qu’on ne savait pas le gagner.
Le pain nous arrivait une fois par semaine le vendredi après-midi monté par le patron en même temps qu’un peu de bois pour la cuisine. Il redescendait avec 30 à 40 kg de beurre. Mais, dès le mercredi à cause de la forte humidité dans le buron, le pain commençait à moisir
Après le petit-déjeuner, c’était les grandes manoeuvres. Il fallait préparer la caillée avec le trassadou. On faisait systématiquement le signe de croix sur la gerle avant de commencer le travail. Puis on enlevait le petit lait. Nous avions cinq gerles dont une pour l’eau propre et une autre pour le lavage.
Vers 11h je m’occupais des cochons, Notre buron avait 60 cochons qu’on nourrissait avec le petit lait mélangé avec une poignée d’orge concassée. C’est le boucher de Murat qui achetait tous les porcs élevés au buron. A midi tout le travail était fini.
Pour le repas du milieu de journée on mangeait des conserves, un peu de pomme de terre, du petit salé ou une saucisse de temps en temps, du saucisson qu’on prenait au crochet de la voûte du buron.
Nos légumes provenaient de notre jardinet près du buron, minutieusement mis en culture dès le début de l’estive pour produire dès le mois de juillet un peu de salade, du persil pour la lessive, carottes, choux et pommes de terre.
Il nous arrivait parfois d’attraper des truites à la main dans les rases alentours, de belles truites à points noirs et rouges. Ca changeait un peu nos menus. On sortait de temps en temps le fusil pour tuer quelques lièvres. Un peu de viande fraîche ce n’était pas de refus. Mais de toute façon, on savait faire à manger avec peu de chose.
On faisait la vaisselle à l’eau froide ou pas de vaisselle du tout, les bols et les assiettes servaient pour la semaine. On les retournaient pour éviter les mouches.
Après manger, on faisait une courte sieste bien méritée puis on s’occupait de la fraise à tome de 45 kg, qu’on laissait ensuite reposer avant d’entreprendre une nouvelle traite de trois heures. Et c’était reparti pour le même travail que le matin.
A l’automne on montait les génisses sur le haut de la montagne, là où restait un peu plus d’herbe.
Vers 20h30, on parquait les vaches. Après on s’asseyait devant la porte du buron pour discuter un peu. Puis on ne tardait pas à aller se coucher dans notre lit en planches sur laquelle reposait une paillasse en feuilles de chêne. L’édredon était lui aussi composé de feuilles de chêne. On avait chaud malgré tout.
De temps en temps, un colporteur passait au buron pour nous vendre un briquet, des lames de rasoir, ou bien du savon. On lui prenait toujours quelque chose. Il buvait un coup, mangeait un morceau de fromage puis repartait vers un autre buron.
Le moment de l’estive le plus difficile c’était durant un orage. Les vaches sautaient partout. Nous on avait peur de toucher le moindre bout de ferraille. C’était stressant. Les vaches étaient habituées, mais quand la foudre tombait pas loin du parc, les bêtes et nous étions inquiets. Durant l’estivage ça arrivait bien une vingtaine de fois.
En 1963, notre fromage a eu le premier prix au concours général. On était très content et fier bien sûr. Tout notre fromage partait quasiment dans les restaurants de la région. Il faut dire qu’il était bon. C’est la montagne qui fait le fromage c’est bien connu, notre montagne avait beaucoup de réglisse. Et vers la fin de l’été, après la fumade le trèfle était bon aussi pour les bêtes.
La dévalade avait lieu toujours avant le 1er octobre, avec un peu de regret malgré tout. La vie difficile à la ferme allait recommencer...."
Buron de Courbière-haut à la sortie de l’hiver
La gestion fourragère est particulièrement suivie sur l’unité pastorale de Pradiers car les différentes pelouses de la zone n’offrent pas le même potentiel fourrager. Trois types de pelouses composent les surfaces de l’estive gérée par la Coptasa : le bonnes pelouses (90¨%), les moyennes pelouses (7%) et les pelouses pauvres (4%).
Sur l’unité pastorale de Pradiers, les bonnes pelouses sont la partie la mieux enrichie, composée de trèfle blanc et de fétuque rouge. Y abonde la fléole des prés, l’avoine jaunâtre et le pâturin des près. L’abondance légendaire des précipitations favorise aussi le développement d’un faciès à pâturin de chaix et de renoué bistorte. A noter par ailleurs la forte teneur en azote du sol qui s’exprime par l’abondance de la renoncule âcre. Cette bonne qualité des pelouses est en partie due à l’apport de déjections des centaines d’animaux qui les parcourent, et aux amendements raisonnés réguliers en calcaire broyé.
Les pelouses moyennes malgré qu’elles possèdent de bonnes graminées comme la fétuque rouge, sont elles soumises à des contraintes de milieu plus fortes occasionnées par la sécheresse, un sol acide, une présence des troupeaux moins forte et peu d’amendements. Ces pelouses sont caractérisées par l’abondance du nard, une graminée piquante peu appréciée des bovins. Ces pâturages ne sont en aucun cas abandonnés par les animaux car ils pourraient alors êtres envahis par des espèces arbustives de landes subalpines qui causeraient une dégradation durable des pelouses.
Les pelouses pauvres correspondent surtout aux sagnes, espaces ou l’eau rend difficile son parcours. C’est d’ailleurs un secteur peu fréquenté naturellement par les animaux dominés par les joncs et les carex, même si on remarque toutefois la présence de quelques graminées fourragères appréciés des bovins comme le lotier des marais. On trouve aussi des tourbières à sphaines, la canche cespiteuse mais très peu de fétuque rouge.
Les potentialités fourragères sont donc particulièrement bonnes et font de l’unité pastorale de Pradiers des estives de grande qualité. Les anciens buronniers l’avaient déjà compris.
L’unité pastorale de Pradiers qui comprend 1126 hectares se situe au nord-est du Cantal sur quatre communes Anzat-le-Luguet (689ha), Pradiers (197ha), Marcenat (160ha) et Vèze (81ha). Cette unité occupe les montagnes qui possédaient autrefois onze burons pour la fabrication du fromage de Cantal.
En 1963 des jeunes agriculteurs du Cantal recherchaient des solutions aux problèmes de la faible dimension de leurs exploitations qui devaient être confortées pour rester viables. Ils ont eu l’opportunité de mettre en valeur des pâturages d’altitude sur le Cézallier proche du Signal du Luguet (1270m-1481m) point culminant du massif et les Monts de la région de Salers et du Puy Violent (1000-1500m d’altitude) qui se trouvaient alors en voie d’abandon.
Ils créent une coopérative de transhumance et d’amélioration des structures agricoles (COPTASA) fonctionnant avec un système de parts sociales. La gestion collective du foncier fut dès le départ une réponse adaptée aux besoins de jeunes agriculteurs puisque les surfaces d’estives mises à leur disposition devenaient directement complémentaires de leurs exploitations.
Depuis près de 50 ans, ce regroupement pastoral, qui a de fait pris la suite des buronniers sur les territoires d’estives, exploite 2061 hectares. Il constitue un outil professionnel qui assure aux éleveurs une formule pérenne de qualité dans la gestion des animaux mis en pension chaque année du 25 mai au 8 octobre. Structurée en deux unités pastorales, Pradiers sur le Cézallier et Recuset, en 2009, la Coptasa a accueilli 4287 bovins, chiffre stables depuis dix ans.
Depuis la création de la coopérative en 1963, plus de 1400 éleveurs ont utilisé les services de la Coptasa pour la mise en estives de plus de 160 000 bovins. Sur les 500 sociétaires de la coopérative, 300 l’utilisent régulièrement.
L’unité pastorale de Pradiers,
la poursuite de la transhumance sur le Cézallier
L’unité pastorale de Pradiers qui comprend 1126 hectares se situe au nord-est du Cantal sur quatre communes Anzat-le-Luguet (689ha), Pradiers (197ha), Marcenat (160ha) et Vèze (81ha). Cette unité occupe les montagnes qui possédaient autrefois onze burons pour la fabrication du fromage de Cantal (Moudeyre, Paillaseyre-bas et Paillasseyre-haut, Paillaseyre La Roche, Sianne, La Fauconde, Thioulouse-bas et Thioulouse-haut, Montirgue, Mont-Mouchet, les Huides, Moussurs-bas et Moussurs-haut. Une bonne partie de ce territoire est proche de la rivière Sianne.
L’unité de la Coptasa de Pradiers est un plateau en pente douce, bordé de sommets arrondis à la physionomie caractéristique des vieux plateaux volcaniques. Ce type de relief est tout à fait adapté pour une utilisation des bovins depuis des siècles. D’autre part, la départementale 39 qui relie Allanche à Anzat-le-Luguet, complétée par une belle piste qui traverse la montagne, permet de rejoindre l’estive facilement ainsi que le buron de Paillaseyre-bas, lieu central de la gestion pastorale de l’unité.
Sur le territoire occupé par la Coptasa les 11 autres burons qui étaient implantés sur les différentes montagnes sont pour la plupart en ruine aujourd’hui. Cette importante implantation de bâtiments dédiés à la fabrication du fromage témoigne d’une activité pastorale intense depuis plus d’un siècle. Mais, à la différence de l’utilisation collective des montagnes par la Coptasa pour l’élevage bovin, les pâturages étaient utilisés individuellement par des propriétaires d’exploitations agricoles, parfois très éloignées des estives pour engraisser les animaux et fabriquer le fromage Cantal.
Un buron et ses dépendances, lieu central de la gestion pastorale
Le buron de Paillaseyre-bas (1400m), qui domine l’amorce de la vallée de la Sianne, en position centrale sur l’estive a été entièrement détruit par un incendie en 1997. Reconstruit en 1998, la totalité du bâtiment sert désormais d’habitation pour les gardiens et d’accueil pour les agriculteurs adhérents de la coopérative. A proximité du buron, l’estive dispose d’un hangar technique de 240m2.
Le souci de préserver le patrimoine bâti emblématique des estives est aussi mis en oeuvre dans l’autre unité pastorale de Recuset ou la Coptasa a permis la restauration à l’identique des burons du Violental et du Roc de Labro, des toitures des granges de Recusset, La Curade, les Stongiers, Fuchabaud et Puechroux.
Des aménagements destinés à l’abreuvement du cheptel ont été multipliés (château d’eau, nouveaux points de captage, retenue d’eau sur les ruisseaux de la Sianne, meilleure répartition des abreuvoirs...) Enfin, des pistes carrossables pour les véhicules 4X4 donnent un accès rapide à la plus grande partie de l’estive dont le périmètre général est équipé de clôtures électrifiées (66 kilomètres).
Grâce à la configuration topographique de l’estive, les conditions de déplacement des gardiens sont grandement facilitées. Ils peuvent atteindre rapidement n’importe quel secteur de l’estive.
Cet ensemble permet à la Coptasa de disposer d’un outil adapté à l’envergure de l’unité pastorale de Pradiers. Tout le périmètre de l’estive est désormais équipé de clôtures électrifiées, la zone étant raccordée au réseau EDF.
Les animaux peuvent être déchargés et chargés directement sur l’aire de débarquement qui offre suffisamment d’espace pour manoeuvrer les bétaillères notamment pour les périodes de montées et de descentes d’estive. L’installation comprend un grand parc de tri, d’un parc d’attente et d’un couloir de tri et même de deux parcs-infirmeries pour isoler les animaux les plus faibles ou ceux qui doivent être soignés quotidiennement.
Les adhérents de la Coptasa, principalement des Cantaliens et quelques Lozériens, Aveyronnais, du Lot et de la Corrèze, acheminent eux-mêmes leurs troupeaux par camions spéciaux jusqu’à l’unité pastorale et les conduisent vers leurs parcs respectifs sous le contrôle des gardiens de la Coptasa. Chaque animal est identifié par une marque attribuée par la Coptasa. Chaque adhérent reçoit un numéro d’ordre gravé sur une plaque fixée par une chaîne au cou de l’animal.
L’arrivée des animaux a lieu à partie du 25 mai de chaque année dans un temps réduit à quelques jours. Les gardiens assurent le recensement, le comptage et le tri des animaux, vérifient les certificats, les marques.Les adhérents participent sur place aux traitements anti-parasitaires des bourrettes et des veaux. La descente des estives a lieu au plus tard le 15 octobre.
2540 bovins mis à l’estive de Pradiers
Le cheptel estivé sur le Cézallier est constitué de génisses, réparties en bourettes (bêtes d’un an), et de doublonnes (bêtes de deux ans) d’une part, et de vaches allaitantes (couples mères et veaux). Le prix de la pension pour toute la période d’estive est fixé chaque année par le Conseil d’Administration de la Coptasa. En 2009 il représentait 137 euros pour une bourrette, 158 euros pour une doublonne et 217 euros pour une vache allaitante.
Les troupeaux accueillis sur l’unité pastorale de Pradiers, c’est-à-dire sur 1126 hectares comprenaient en 2009, 962 bourrettes, 892 doublonnes, 343 vaches allaitantes et autant de veaux soit un total de 2540 animaux, chiffre stable depuis une dizaine d’années. A noter que l’unité pastorale de Recusset accueillait de son côté en 2009 1647 animaux sur ses 935 hectares d’estives.
Ce sont les deux gardiens basés au buron de Paillaseyre-bas qui procèdent dès la fonte des neiges à la remise en état des clôtures et à la remise en eau des points d’abreuvement. Durant toute l’estive, ils contrôlent l’état sanitaire des troupeaux par des visites systématiques tous les jours. Ce sont eux encore qui assurent directement les soins courants, faisant appel au vétérinaire si cela est nécessaire.
Pendant les deux premiers mois de l’estive, c’est le suivi sanitaire du cheptel qui représente la tâche principale des gardiens. Cela se traduit par un très faible taux de mortalité des bovins confiés à la Coptasa (4 en 2009 sur 2540 aninaux).
Une valorisation durable de la ressource fourragère
Chaque secteur de l’unité pastorale de Pradiers est divisé en parcs clôturés et électrifié. Au cours de la saison d’estivage, chaque lot d’animaux utilise les parcs selon un calendrier de rotation. Ainsi, les parcs sont utilisés en moyenne toutes les deux à trois semaines. Si ce système de parcs tournants n’est pas simple à organiser et à mettre en place vu l’envergure du territoire d’estive, ce choix permet une bonne gestion de la ressource herbagère.
Le système des parcs tournants offre aussi l’avantage de mieux répartir la charge animale sur l’estive en évitant que les secteurs les moins appréciés des animaux ne soient délaissés au profit des pelouses plus attractives. Comme autrefois, la mise en oeuvre de la rotation permet à l’herbe de repousser dans les parcs déjà pâturés.
Cette fréquentation régulière des troupeaux contribue à enrichir le sol en fumure organique, et la fertilisation raisonnée en calcaire broyé, azote permettent de lutter contre la nature acide du sol et de l’enrichir en éléments nutritifs.
Les parcs de l’unité pastorale au nombre de 21 reprennent en partie les montagnes qui possédaient autrefois un buron dédié à la fabrication du fromage : Paillesseyre-la-roche (70ha), Moussurs-haut-1 (55ha), Moussurs-haut-2 (55ha), Moussurs-bas (54ha), Les Huides (44ha), Montirgue-1 (60ha), Montirgue-2 (83ha),Thioulouse-bas-1 (37ha), Thioulouse-bas-2 (47ha), Thioulouse-haut-1 (89ha), Thioulouse-haut-2 (51ha), Sianne (76ha), La Fauconde (60ha), Paillesseyre-haut-1 (54 ha), Paillesseyre-haut-2 (46 ha), Paillesseyre-bas-1 (56ha), Paillesseyre-bas-2 (42ha), Mont Mouchet (42ha), Moudeyre-1 (31ha), Moudeyre-2 (25ha), Moudeyre-3 (33ha).
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Sources, chiffres de la Coptasa 2014
Dans les années soixante, la transhumance des vaches laitières qui avait pour objectif la production de fromage était pratiquement abandonnée. La création d’une coopérative agricole a sauvé l’un des plus riches espaces pastoraux du Cantal.
La désertification de notre territoire de moyenne montagne s’est accentuée dans le dernier tiers du XXème siècle. La zone d’Estive du versant oriental du Cézallier, située entre 1200 et 1500m d’altitude, fortement morcelée, empêtrée dans les problèmes fonciers, n’a pas échappé à ce tournant définitif des pratiques agropastorales.
Ces pâturages d’été allaient-ils retourner à la forêt mille ans après leur défrichage. L’idée d’une exploitation collective de ces plateaux volcaniques a sauvé l’un des plus riches espace pastoraux du Cantal.
Dans les années soixante, la transhumance des vaches laitières qui avait pour objectif la production de fromage était pratiquement abandonnée. Cette fin d’époque fut accompagnée d’une dévalorisation de ces montagnes. Le prix d’un hectare ne dépassait plus 1000F (150euros). Conséquences de ce désintérêt des estives, la production du fromage a progressivement cessé (la demande des consommateurs étant par ailleurs de plus en plus faible), les nombreux burons établis au fil des siècles n’ayant plus d’utilité ont pour la plupart été délaissés. Les rudes conditions d’altitude ont rapidement dégradé les plus fragiles bâtiments.
Le sursaut a pourtant eu lieu en 1963 lorsqu’un groupe de jeunes agriculteurs cantaliens, préoccupés par la gestion durable de l’espace pastoral et souhaitant trouver des solutions aux problèmes des exploitations de faibles dimensions, a imaginé la création d’une coopérative agricole, la COPTASA (Coopérative de Transhumance et d’Amélioration des Structures Agricoles), premier groupement de ce type en France.
L’exploitation moderne des Estives constituait un handicap important au départ. Progressivement, des aménagements de ces grands pâturages ont été faits bénéficiant en partie d’aides publiques. Des pistes ont été aménagées, moyens de liaisons essentiels pour le gardiennage et la circulation des véhicules tout-terrain. Les clôtures ont été refaites et réinstallées pour la plupart sur les lignes de crête pour éviter les congères hivernales. Des points d’eau ont été installés dans chaque parcelle pour assurer même en période de sécheresse une alimentation suffisante en eau. Des corrals, indispensables pour la manutention, le contrôle sanitaire et les opérations de transport des animaux, ont été créés pour desservir des groupes de parcelles.
Cette organisation rationnelle et collective des Estives ne pouvait malheureusement pas intégrer l’utilisation et la sauvegarde des nombreux burons existants. Certains ont été vendus à des particuliers, d’autres ont été conservés notamment sur les parcelles des biens sectionaux de la commune de Vèze. Les autres ont été laissés à leur triste sort.
Un buron nécessaire à l’exploitation collective des pâturages a été aménagé sur la Montagne de Paillassère. Un hangar de 400m2 construit en 1995 permet désormais de stocker le matériel de la coopérative. Des installations de contention, de triage et d’embarquement favorisent par tous les temps les soins et le transport des animaux.
L’évolution du marché de la viande, la chute des prix, le système des primes compensatoires suscitent chez les éleveurs un besoin d’augmentation de leur cheptel bovin et de pâturages. Ironie de l’histoire, les hectares d’altitude des Estives du Cézallier sont à nouveau très recherchés. Environ 250 adhérents utilisent les services de la coopérative sur ses deux sites (plateau du Cézallier/Pradier et plateau de Salers/Récusset). Ils confient en pension durant l’Estive du 25 mai au 5 octobre plus de 3000 bovins répartis sur les 1600 hectares de la coopérative. Les troupeaux comprennent des génisses (Bourettes, génisses de moins de 2 ans, doublonnes, génisses de plus de 2 ans) et des vaches allaitantes (vache + veau).
Sources : Coptasa, 26, rue du 13ème Régiment d’Infanterie , 15000 Aurillac
L’unité pastorale de la Coptasa de Pradiers au pied du Signal du Luguet
PATRIMOINE
L’eau
Les moulins de la vallée de la Sianne
Les passerelles primitives sur la Sianne
Les moulins de communautés villageoises
Le pays
Les Activités
L’estive sur le Cézallier Cantalien
Vie agricole : le temps des moissons (3)
L’usage du feu dans la maison traditionnelle
Le Bâti
Les symboles sur le bâti ancien
Les petits bâtiments d’élevage
Les toitures du Cézallier cantalien